user: pass:


Ladvocat, J.B., 1749. Lettre sur le rhinoceros, a M.*** Membre de la Societe Royale de Londres. Paris, Thiboust, pp. 1-34, pls. 1-2

  details
 
Location: World
Subject: Text as original
Species: All Rhino Species


Original text on this topic:
[2]
Lettre sur le Rhinoceros, à M *** Membre de la Societé Royale de Londres.

Vous me demandez, Monsieur, de quelle grosseur est à présent le Rhinoceros que vous avez vû à Londres, & que l’on a amené d’Allemagne à Paris. Vous me priez en même-tems de vous mander ce que les Anciens ont dit de cet Animal, & s’il en est parlé dans le Texte Original de l’Ecriture Sainte; je satisfais voluntiers à vos désirs. Je l’ai vû, examiné & mesuré avec soin. J’ai consulté ce que les Auteurs Anciens & modernes en ont dit, & s’il en est fait mention dans le Texte Sacré. J’ai composé de ces observations & de ces recherches une petite Histoire de cet Animal singulier, & j’espère qu’elle ne vous sera point desagréable. En attendant que l’Estampe du Rhinoceros soit gravée avec plus d’exactitude qu’elle ne l’a été jusqu’aujourd’hui, & qu’on la donne séparément, je vous envoye celle qu’Albert Durer a tiré sur le Rhinoceros mâle qui fut mené en 1515 à Emmanuel Roi de Portugal. Ne faites, je vous prie, aucune attention aux fleurs & aux branches d’Arbres, qu’on y a mises seulement pour ornement. Je suis, &c.

[3]
DESCRIPTION DU RHINOCEROS
Le Rhinoceros (a) passe pour le plus curieux & pour le plus grand des Animaux à quatre pieds après l’Elephant. Les Grecs l’ont ainsi nommé à cause d’une corne sur le nez (b). Il est à peu près de la longueur de l’Elephant, mais il est moins gros, & il a les jambes plus courtes. Celui que l’on montre actuellement à Paris (c) n’a qu’un pied depuis les genoux jusqu’à terre.
(a) C’est ainsi qu’il faut écrire avec l’Académie, & non pas Rhinocérot.
(b) De _ις, _ιvoς, nez & de κερας, corne.
(c) Je l’ai vû & mesuré les sept & huit Février 1749.
Sa peau qui est très épaisse s’étend l’espace de trois pieds depuis les oreilles jusques vers le commencement du dos. Elle se replie & se rabat ensuite des deux côtés du cou en forme de capuchon applati, ce qui lui a fait donner par les Portugais le nom de Moine des Indes. Cette premiere peau fait à son extrémité une espece de Bourlet; elle descend des deux côtés jusqu’au bas du ventre, & forme trois plis de chaque côté qui se joignent les uns près des autres, & qui enveloppent les deux cuisses antérieures de l’Animal jusqu’auprès des genoux, comme si c’étoient des bottes.
[4]
Au-dessous du col pend un autre cuir arrondi très épais & long d’environ un pied, assez sembable à la partie inférieure du colier d’un Boeuf de charue. Depuis les oreilles jusqu’au premier bourlet il y a trois pieds.
De dessous ce premier bourlet qui est comparé à un Baudrier dans Strabon (a) sort une autre peau qui s’étend jusqu’à la croupe. Elle est fort épaisse, & ressemble à ces couvertures que l’on met sur le dos des Chevaux blessés; cette seconde peau s’étend aussi des deux côtés, & forme à toutes ses extrémités un bourlet très dur. Elle a environ quatre pieds de longueur sur le dos, & huit de largeur, c’est-à-dire, quatre pieds de chaque côté du ventre.
(a) Geogr. Liv. 16 [Strabon]
Sa queue prend naissance un pied plus bas que la croupe ou que l’extrémité du second bourlet, appellé aussi Baudrier dans Strabon. Elle a trois pieds de longueur, mais elle est attachée au corps de l’Animal jusqu’au fondement l’espace de huit pouces. Elle est assez mince, & composée de plusieurs noeuds, tout fort près les uns des autres. Celle de la femelle s’emboëte en deux gros bourlets de peau fort longs & très durs.
La croupe du Rhinoceros est tout-à-fait singuliere. Elle est entourée de deux gros bourlets qui naissent de chaque côté à l’extrémité de la seconde peau & qui vont joindre la queue auprès du fondement. Ainsi la croupe du Rhinoceros est partagée en deux parties par la queue, ce qui forme comme un demi-cercle ou arc tendu d’environ trois pieds de circonference non compris la corde. Les deux cuisses de derriere sont aussi enveloppées jusqu’auprès des genoux dans des espéces de bottes à plusieurs plis. La peau du ventre n’est qu’à dix-huit pouces de terre. Elle sort de dessous les extrémités de celle dus dos
[5]
comme si elle sortoit de dessous les extrémités d’une houffe de Selle. Car les bourlets ne sont pas attachés au corps, mais ils débordent d’un, de deux, & même en quelques endroits de trois & de quatre pouces. Elle est mince & déliée, & n’a que deux pieds de largeur. Cela étoit nécessaire, parce qu’autrement la peau du Rhinoceros ne pouvant s’étendre, il lui serois impossible de manger, & la femelle ne pourroit avoir des petits. D’un autre côté si elle avoit u plus de largeur, elle seroit plus exposée aux traits & aux attaques de l’ennemi, n’étant point défendue par les peaux dures qui enveloppent le reste du corps.
La peau du Rhinoceros est d’un gris brun; elle est couverte par tout, excepté à la tête & dessous le ventre, de durillons fort sembables à des boutons d’habits, élevé au-dessus de la peau d’environ une ligne. Les plus apparens sont ceux de la croupe & du derriere. Les pieds sont faits de trois fourchons. Celui du milieu est de corne par le devant, & de durillons sur le derriere. Les pieds sont faits de trois fourchons. Celui du milieu est de corne par le devant, & de durillons sur le derriere. Les deux autres sont des griffes. Sa tête est grosse & ressemble assez à celle du Sanglier, excepté le museau qui est rond. Mais quand le Rhinoceros veut prendre quelque chose pour le manger, il allonge la peau de la museliere supérieure en forme de bec d’Aigle. La museliere inférieure a seot pouces de largeur. La bouche est peu fendue, elle n’a environ qu’un demi pied de chaque côté. Le Rhinoceros a quatre dents sembables à de gros dez à jouer, deux en haut & deux en bas assez près des lévres. Mais au fond de la bouche il a plusieurs autres dents si tranchantes, qu’elles coupent la paille & les branches d’arbres comme si c’étoient des ciseaux. Ses yeux sont petits à proportion de sa grosseur, ils sont vifs & deviennent rouges, si peu qu’ils s’enflâment. D’un oeil à l’autre il y a dix pouces,
[6]
chacun est éloigné d’un pied de l’extrémité extérieure des narines. Celles-ci sont distantes l’une de l’autre d’un demi pied. Ses oreilles ressemblent à celles de l’Asne, si ce n’est quelles sont plus larges, elles ont onze pouces de hauteur.
Sa langue n’est point rude, ni couverte d’une membrane dentelée sembable à une lime, en sorte qu’il écorche ce qu’il veut lécher, comme l’ont assuré plusieurs Naturalistes (a); au contraire elle est mince & deliée comme celle d’un Chine, & si douce qu’on croiroit passer la main sur du velour. C’est ce que j’ai reconnu par ma propre expérience, lui ayant fait lécher la main. Je l’ai vu lécher aussi le visage d’un jeune Garçon du nombre de ceux qui en avoient la garde.
(a) Il est étonnant que Bontius qui avoit vu un grand nombre de Rhinoceros soit tombé dans cette erreur. Voyez Ruych, tom.2 pag.67.
Quelques Naturalistes ont avancé que le Rhinoceros avoit une bosse sous le ventre sembable à celle que le Chameau a sur le dos, mais cela n’est point véritable. Le dessous de son ventre est uni comme celui du Taureau. Le Rhinoceros n’a point de poil, si ce n’est tant soit peu aux extrémités des oreilles & au bout de la queue. Celui que l’on montre à Paris fut pesé à Stouquarts dans le Duché de Witemberg le 6 Mai 1748. Si l’on croit ceux qui le montrent il pésoit 5000 livres.

De la Naissance & de l’âge du Rhinoceros.
Oppien dans son Poëme de la Chasse, dit que tous les Rhinoceros sont mâles, qu’il n’y en a pas un seul de femelle, & qu’ils sont à l’abri des passions de l’amour, des embarras des nôces, & de l’éducation des enfans (b). Quelques naturalistes ont voulu prouver
(b) Liv. 2 v. 552 & suiv.
[7]
cette absurdité par une autre absurdité. Ils s’imaginent que les coquillages de la Mer naissent d’eux-mêmes, d’où ils concluent que le Rhinoceros peut aussi naitre de lui-même, de la terre ou des rochers; mais tout cela est une fable. Ce seroit assurément une chose merveilleuse, de voir un Animal aussi gros que le Rhinoceros sortir de la terre comme un champignon !
Venons à ce qui est véritable. Le Rhinoceros mâle est conformé comme l’Elephant & le Chameau qui sont conformés tout autrement que le Cheval & le Chien (a). Damir & Alkazuin Auteurs Arabes disent que le Rhinoceros femelle met bas son petit après l’avoir porté trois ans, (d’autres exemplaires de Damir ont sept ans), qu’il ne commence à avoir des petits qu’à cinquante ans, & qu’il vit sept cens ans (b).
(a) Rhinoceroti ... aversa genitalia. Pline, liv. 10 c.63 [aversi coeunt nec hi tantum Leones, sed & Lynces, & Cameli, & Rhinocerotes, & Elephanti & Tigrides.] Solinus cap.40 Polyhistot.
(b) Apud Bochart Hierozoic. Lib.3 cap.26 tom.1 pag.935.
Ceux qui font voir celui qui est à Oaris, assurent que le Rhinoceros est vingt-cinq ans à parvenir à sa grandeur naturelle, & qu’il vit cent cinquante ans. Ils ajoutent que celui qu’ils montrent est encore jeune, qu’il deviendra plus gros, & qu’il n’a que dix ans. Mais tout cela n’est qu’un conte qui se détruit par leur affiche. Ils y assurent qu’il fut pris en 1741 à l’âge de trois ans, par un Capitaine de Vaisseau, qu’il avoit alors cinq pieds sept pouces de hauteur, douze pieds de longueur, & douze pieds de grosseur, & que depuis ce tems-là il est devenu beaucoup plus grand & plus gros. Tout cela n’est dit que pour exciter la curiosité des Spectateurs. Car je l’ai mesuré, il a dix pieds de longueur depuis les oreilles jusqu’au fondement & dix pieds de circonférence en le mesurant par le milieu du corps. Sa hauteur est de cinq pieds quatre pouces ou environ.
[8]
Tout cela prouve qu’il étoit parvenu à sa grandeur naturelle, quand le Capitaine Hollandois, auquel il appartient, le fit embarquer, & qu’il ne croitra pas davantage. Ce qui est visible par l’inspection seule de l’Animal & par un peu de réfléxion; car s’il avoit encore quinze ou vingt ans à croître, comme ils l’assurent, il deviendroit plus gros que l’Elephant, ce qui ne se peut dire.
D’ailleurs il ne faut tenir aucun compte de ce que l’on dit ordinairement de la longue vie des Animaux. Si nous en jugeons par les connoissances certaines que nous avons, & par l’Analogie de la Nature, il n’y a aucun Animal Terrestre qui vive aussi longtems que l’Homme. Tout Animal est un certain tems à parvenir à sa grandeur naturelle, il y demeure un certain tems, ensuite il vieillit. Ces trois points de sa jeunesse, de sa virilité & de sa vieillesse sont proportionnés. Car il est constant que plus un Animal est long-tems à croître & à parvenir à son état parfait, plus long-tems aussi il est à decroître. Le Cheval, par exemple qui est plus long-tems que le Boeuf, à parvenir à sa grandeur naturelle, vit aussi plus long-tems que le Boeuf; car celui-ci ne vit au plus que vingt ans, au lieu que le Cheval en vit trente. Le Mouton n’est pas si long-tems que le Boeuf à parvenir à son état parfait, aussi vit il moins, & ainsi des autres. Il en est de même des Plantes & des Arbres. Un Printems voit naitre & périr les Fleurs; mais le Chêne tardif, dont les parties dures & serrées croissent avec tant de lenteur, survit à plusieurs générations de Saules & d’arbrisseaux. Telle est l’analogie constante de la Nature. Ce qui croît vîte, meurt vite. Puis donc que l’Homme, selon les connoissances certaines que nous avons, est, de tous les Animaux connus, celui qui est le plus long-tems à parvenir à sa grandeur naturelle, n’étant dans son
[9]
état parfait qu’à vingt-cinq ans, n’est-il pas évident qu’il est aussi de tous les Animaux celui qui vit le plus long-tems ? Ce qu’on raconte de l’Aigle & du Corbeau est une fable. Il y a des preuves qu’ils ne vivent pas si long-tems que le Perroquet, & que celui-ci ne vit pas si long-tems que l’Homme. Si les Corbeaux vivoient cent ans, comme ils font un grand nombre de petits, & qu’on en tue peu. Tout l’air en seroit rempli. Ce qu’on dit du Cerf est encore plus fabuleux; car l ne vit qu’environ vingt ans. Il n’y a aucune preuve certaine qu’on en ait vu de plus vieux; mais tout ceci demanderoit une dissertation particuliere qui n’est pas de notre sujet. Revenons au Rhinoceros.
S’il est vrai que celui qu’on montre à Paris n’avoit que trois ans quand il a été embarqué, & si alors il étoit tel que ceux qui le montrent nous le decrivent. Le Rhinoceros doit vivre environ vingt ans. Une autre raison qui me porte à croire qu’il ne vit pas davantage, c’est qu’il tient beaucoup du Boeuf. La femelle a un pis & deux tettes. Elle n’a du lait que quand elle allaite; ce qui fait qu’il est difficile d’appercevoir son pis dans les autres tems.
Bontius qui avoit vû un grand nombre de Rhinoceros, assure qu’il grogne comme le Cochon. Ceux qui le montrent disent aussi qu’il tousse, & que son cris ressemble à celui d’un Veau. Pour nous il nous a paru que son cris ressembloit plûtôt à celui d’un Boeuf poussif. On diroit qu’il ne fait du bruit qu’avec les narines. Il ne rumine point.

Des Païs où il naît des Rhinoceros, & comment ils se nourrissent.
Paul, Abbreviateur de Festus, dit, qu’il y a des Rhinoceros en Egypte (a), mais il se trompe &
(a) Lib.16
[10]
il est dementi en cela par tous les Historiens & par tout les Voyageurs. On peut dire en général qu’il y a des Rhinoceros par tout où il y a des Elephans, c’est-à-dire, dans les Deserts d’Afrique, dans l’Abyssinie, & dans les Indes. Le Pere Duhalde assure qu’il y en a aussi à la Chine dans la Province de Quang-si (a). Mais les Pais où il s’en trouve en plus grand nombre sont les Etats du Grand Mogol, & ceux du Roi d’Ava, le Royaume de Patane, ceux de Cambaye & de Jacatra, & surtout les Pais qui sont sur le Golphe de Bengale. On dit aussi qu’il y en a en Amerique, mais cela ne paroît pas encore bien assuré. Celui que l’on montre à Paris a été pris dans la Province d’Achem, qui fait partie des Etats du Roi d’Ava. Il a été amené en Hollande par mer. De-là en Allemagne, & d’Allemagne en France. Pour le transporter par terre on s’est servi d’une voiture couverte, trainée dans les mauvais chemins quelquefois par vingt Chevaux. A cause de la difference du climat de l’Europe, on a soin de le graisser souvent avec de l’huile de Poisson, pour empêcher sa peau de durcir & de se fendre. Il est apprivoisé, doux & même caressant. Il mage continuellement du foin, de la paille, du pain, des fruits, des legumes, & généralement de tout ce qu’on lui donne, excepté de la viande & du poisson, dont il n’a jamais voulu manger; il boit à proportion. Ceux qui en ont la garde assurent qu’il mange par jour soixante livres de foin & vingt livres de pain, & qu’il boit quatorze seaux d’eau. Il boit aussi de la Bierre & du Vin. Il aime extremement la fumée de Tabac, & ceux qui le montrent prennent plaisir à lui en souffler dans les narines & dans la bouche.
(a) [Duhalde] Descript.de la Chine, tom.1 pag. 239
Comme nous voyons des Animaux qui se font un ragoût des Chardons, dont les petites pointes
[11]
pirotent agréablementles fibres & les extrémités des nerfs de leur langue, de même le Rhinoceros mange avec plaisir des branches d’Arbres hérissées de toutes parts de pointes d’épines vertes avec les feuilles. Je lui en ai souvent donné, dit le Pere le Comte, dont les pointes étoient très rudes & très longues, & j’admirois avec quelle avidité & quelle adresse il les plioit sur le champ & les brisoit dans sa bouche, sans s’incommoder. Il est vrai qu’il en étoit quelquefois un peu ensanglanté; mais cela même en rendoit le goût plus agréable; & ces petites blessures ne faisoient apparemment sur sa langue d’autre impression que celle que fait le sel ou le poivre sur la nôtre.
Ik ne faut pas conclure de-là que sa langue soit rude & rabotteuse comme une lime. Il y a apparence qu’il la retire ou qu’il l’applatit sur le bas de son palais, pour éviter les piqures. Quoiqu’il en soit, le principal domestique de celui qu’on montre, m’a assuré la même chose que le Pere le Comte, quoique la langue de ce Rhinoceros femelle soit très douce & très deliée, comme je l’ai observé ci-dessus.
Les Peres Jésuites Portugais qui ont demeuré long-tems en Abyssinie, assurent non seulement qu’ils y ont nourri des Rhinoceros, mais aussi que les Abyssins les apprivoisent, qu’ils s’en servent & les accoûtument au travail comme ils font des Elephans. La description que Monsieur Chardin fait de celui qu’il vit en Perse, revient assez à celui qui est à Paris (a).
(a) [Chardin], Voyage de Perse, tom.3 pag.45
Le Rhinoceros aime les marais & les gras pâturages, & mange de l’herbe comme le Boeuf. On assure aussi qu’il sçait nager, qu’il aime à se plonger dans l’eau comme un Canard, & qu’il court avec
[12]
une telle legereté, qu’il fait quelquefois jusqu’à soixante lieues dans un jour. Mais ce dernier fait ne me paroît pas bien constant.

De la Corne du Rhinoceros. A quoi l’employoient les Romains. Vertus que les Orientaux lui attribuent. De quelle utilité est cet Animal.

Pausanias, auteur grave (a), assure que le Rhinoceros a deux cornes, l’une fort grande sortant du nex, l’autre petite, mais très forte qui pousse en haut. Mais cela n;est vrai que du Rhinoceros mâle qui a une petite corne sur le dos à l’épaule droite, & une autre plus grande sur le nez. La femelle, telle qu’est celle que l’on montre à Paris n’a point de corne sur le dos. Quelques-uns disent, ajoute Pausanias, que les cornes du Rhinoceros ne sont point arrêtées, mais qu’elles s’agitent de part & d’autre, & que quand il entre en colore, elles deviennent si roides & si rudes qu’elles deracinent un tronc d’arbre, quand elles le heurtent de front. Ces paroles font connoître que Pausanias n’avoit jamais vû de Rhinoceros. Car il est constant que les cornes sont arrêtées comme celles du Taureau. D’ailleurs des cornes qui deviennent dures, quand l’Animal se met en colere, sont un conte destitué de vraisemblance & qui est entierement contraire à la nature de la corne.
(a) [Pausanias], In Boeotic.
Le Moine Cosme, Egyptien, qui nous a donné la description du Rhinoceros, est tombé dans la même erreur. Aussi avoue-t’il qu’il n’en a jamais vû en vie que de loin, & que celui qu’on montroit dans le Palais du Roi d’Ethiopie, n’étoit qu’une peau de Rhinoceros remplie de paille (b). Le sçavant Pere
(b) [Cosme], Tom.2 Collect. Montfaucon, pag. 334.
[13]
de Montfaucon qui a fait imprimer en Grec & en Latis les Oevures de Cosme Egyptien, paroît n’avoir eu aucune idée du Rhinoceros, comme on le voit par la figure qu’il y a inserrée.
La corne du Rhinoceros femelle qui est à Paris, a neuf pouces de hauteur depuis la racine. De cette corne aux oreilles il y a quatorze pouces & neuf pouces jusqu’à la pointe du museau, lorsqu’il est en bec d’Aigle. Ainsi la tête en cet état a vingt-trois pouces de longueur. Cette corne est claire par en bas; mais le hait est d’un brun noirâtre comme la peau. Elle n’est pas tout-à-fait ronde. Elle est fort grosse, un peu recourbée vers le dos, & très-dure. Celle du Rhinoceros mâle (comme il arrive ordinairement à l’égard de tous les autres Animaux) est plus grosse & plus longue que celle du Rhinoceros femelle. Elle a deux pieds de longueur en partant de la racine, & environ un pied de diamétre. Elle est aussi dure comme du fer, un peu recourbée en haut, mais plus pointue & plus aigue que celle de la femelle. Je ne parle que de la corne qui est sur le nez; car je n’ai point vu celle qui est sur le dos. Mais selon toutes les apparences, elle est assez sembable à celle du Rhinoceros femelle. Au reste Bontius observe que ces cornes ne sont pas toujours de même couleur. Tantôt elles sont noires, tantôt cendrées, & tantôt blanches, & plus ou moins grandes selon l’âge de l’Animal.
La corne du Rhinoceros étoit de grand prix chez les Romains. Tout le monde sçait qu’ils avoient poussé le luxe des bains jusqu’à l’excès. Des femmes y tenoient des vases à bec remplis d’huile & d’essence à l’usage de ceux qui prenoient les bains. Les Princes & les Riches achetoient bien cher des cornes de Rhinoceros, lesquelles étant creusées en dedans & bien travaillés leur servoient de vases pour conserver ces huiles & ces essences. C’est ce que nous
[14]
apprenons de Martial (a) & du Scholiaste de Juvenal (b).
(a) Martial, liv. 14. Epigr. 53.
(b) Le Scholiaste [Juvenal] sur le Vers 130 de la Satyre 7. Magno Rhinocerote Levari. Magno Rhinocerote, id est, dit le Scholiaste, magno gutto. Or guttus étoit Latin, en un vase à bec dont la liqueur tomboit goute à goute.
Il nous faudroit un Volume entier, si nous voulions rapporter toutes les fables que les Ecrivains Arabes & les Orientaux débitent sur la corne du Rhinoceros. Le Geographe de Nubie, Algiahid & Damir racontent que cette corne étant dendue par le milieu, présente aux yeux la figure d’un homme tirée avec des lignes blanches, parmi lesquelles on voit aussi des figures de Paon & autres Oiseaux, de Chevres, & d’autres figures encore plus merveilleuses. Ce qui fait, disent-ils, que les Princes Chinois & les Indiens s’en servent pour orner leurs baudriers & leurs Trônes. Ils ajoutent qu’on en fait aussi des coliers & des manches de couteaux à l’usage des Rois des Indes qui se servent toujours à table de ces couteaux, & qui les achettent bien cher, parce que, disent-ils encore, la corne sue à l’approche de quelque venin que ce soit. Il n’est pas douteux que la corne du Rhinoceros ne soit d’un grand prix dans les Indes, & qu’on ne s’en serve à beaucoup de choses, parce qu’étant d’une dureté extra-ordinaire, les ouvrages qu’on en fait, lorsqu’ils sont bien travaillés, sont plus beaux, plus précieux & de plus longue durée. Mais ces Auteurs ont pris les figures que l’on y peint, pour des figures naturelles, & ce qu’ils disent de la sueur de la corne du Rhinoceros à l’approche du venin ou du poison est visiblement fabuleux. Outre que les anciens Auteurs Grecs & Latins n’ont point parlé de cette vertu Rhinocerotique contre le venin, plusieurs Sçavans ont prouvé qu’elle n’avoit aucun effet, & que si l’on en trouvoit quelquefois qui eussent quelque vertu, c’étoient des cornes artificielles détrempées avec des antidotes, & vendues par les
[15]
Charlatans comme de vraies cornes de Rhinoceros. Quoi qu’il en soit, cette opinion vraie ou fausse passa des Indes en Europe. Clement VII fit présent d’une corne de Rhinoceros au Roi de France croiant lui envoyer quelque chose de très-précieux. Les Vénitiens en achetterent une fort cher d’un Juif, & Paul Jove raconte (a), que quand les François pillerent le Palais de Pierre de Medicis Grand Duc de Toscane, ils crurent avoir trouvé un trésor, lorsqu’ils decouvrirent une corne de Rhinoceros. Aujourd’hui on est assez revenu de ce préjugé en Europe, & on ne les montre plus que comme des raretés dans les cabinets des princes & des curieux.
(a) [Jove], Hist. Liv.18
Mais, disent quelques personnes, à quoi sert le Rhinoceros ? Il est aisé de leur répondre. Nous venons de voir à quoi sert la corne. Bontius témoin oculaire, dit que les Maures Indiens mangent la chair du Rhinoceros, mais qu’elle est si nerveuse, qu’il faut avoir de bonnes dents pour en manger. La peau est si dure, que les Indiens & les Abyssins s’en servent pour faire des cottes d’armes, des cuirasses, des boucliers, & même des socs de charrue. Ces cuirasses de peau sont beaucoup plus légeres & plus commodes que les nôtres. Pline assure que de son tems on apportoit des Indes à Rome le meilleur Lycium dans des outres faites de peau de Rhinoceros (b). Non seulement la corne, mais les griffes, le sang, la chair, la peau, &
(b) Liv.32 c.8 sur le Lycium. Voyez Clusius, lib.1, cap.10, pag. 163.
généralement tout ce qui est du Rhinoceros jusqu’à la fiente & l’urine passent chez les Indiens & chez les Abyssins pour des antidotes souverains contre le poison & le venin. Ils ont le même usage dans leur Pharmacopée que la Theriaque dans le nôtre. De-là vient que Zacut ordonne contre le venin & le poison de la peau de
[16]
Rhinoceros détrempée dans du vin. Le Rhinoceros a donc son utilité comme les autres Animaux.

Du combat du Rhinoceros avec l’Elephant.
Pline assure que le Rhinoceros est l’ennemi naturel de l’Elephant, qu’il s’aiguise la corne contre les rochers, quand il se prépare au combat, & que quand il attaque l’Elephant, il tâche de lui enfoncer sa corne dans le ventre où il sçait qu’il a la peau plus tendre & plus molle (a). Agatharchide dans Photius (b), Oppien dans son Poeme de Chasse, Elien dans son Histoire des animaux (c), Diodore de Sicile (d), Martial, saint Gregoire le Grand & généralement tous les Auteurs anciens & modernes parlent de ce combat du Rhinoceros avec l’Elephant.
(a) Liv.7 c.20 & liv.18 c.1 [Pline]
(b) Biblioth. Cod. 250
(c) Liv.17 c.4
(d) Bibl. Liv.4
(e) Pag.260 Edit, de 1611. Fol.

La description qu’en fait du Bartas ayant été autrefois très-estimee, Le Lecteur sera peut-être bien-aise de l’avoir sous les yeux. Elle se trouve au sixième jour de la semaine de la Création, où le Poëte après avoir décrit les belles qualités de l’Elephant, continue en ces termes.
Mais cest esprit subtil, ni cet enorme corps
Ne le peut garantir des cauteleux efforts
Du fin Rhinocerot, qui n'entre one en bataille
Conduit d'aveugle rage: ains plustôt qu'il assaille
L'adversaire Elephant, affile contre un roc,
De son armé museau le dangereux estoc
Puis, venant au combat, ne tire à l'aventure
La roideur de ses coups sur sa cuirasse dure
Ainsi choisit, provident, sous le ventre une peau
Qui seule craint le fil de l'aiguisé couteau. (e)
Voilà la description que les Auteurs du
[17]
Dictionnaire de Trevoux appellent une belle Description.
L’Elephant & le Rhinoceros se font ainsi la guerre à cause des pâturages, parce qu’étant l’un & l’autre des Animaux très-voraces, ils veulent s’empêcher de pâturer dans les mêmes lieux. L’Elephant qui est ruse & subtil, évite quelquefois la corne du Rhinoceros, le fatigue avec sa trompe, le hache & le met en pieces avec ses dents; mails le Rhinoceros remporte plus souvent la victoire. Tel est le récit commun des Anciens & des Modernes.
Néanmoins quelques Auteurs traitent de fabuleux ce combat du Rhinoceros avec l’Elephant; mais il est difficile de le révoquer en doute; car outre que tous les Auteurs anciens & modernes en parlent, comme on vient de l’observer, nous en avons un témoignage authentique qu’il n’est pas possible de détruire. Je parle du Rhinoceros mâle qu’on amena en 1515 à Emmanuel Roi de Portugal. Tous les Historiens rapportent que ce Prince le fit combattre contre un Elephant, & que celui-ci fut vaincu. Albert Durer célebre Graveur donna la figure de ce Rhinoceros. Elle se trouve dans les cabinets des curieux & dans plusieurs Bibliotheques. Les Jesuites Portugais qui ont demeuré dans l’Abyssinie, & les Ecrivains Orientaux assurent aussi qu’on voit assez souvent des Elephans étendus inorts, & percés par la corne du Rhinoceros. Tous ces témoignages nous paroissent convaincans, & nous n’avons aucune raison de les révoquer en doute. Nous ne croions pas cependant ce que disent pline, Elien & les autres Auteurs, que le Rhinoceros aiguise sa corne contre les rochers pour se préparer au combat. Il est vrai que le Rhinoceros frotte sa corne non seulement contre les rochers, mais aussi contre les arbres & tous les corps durs, & qu’il semble l’aiguiser; mais ce n’est pas qu’il se prépare au combat. C’est un mouvement
[18]
naturel. J’ai vu plusieurs fois celui qui est à Paris tourner ainsi sa tête en rond, & faire toucher sa corne le long d’une planche. On auroit dit qu’il vouloit l’aiguiser. Néanmoins il est bien clair qu’il ne faisoit pas ce mouvement pour se préparer à combattre l’Elephant. Il n’est pas vrai non plus que l’Elephant percé de la corne du Rhinoceros tombe sur son ennemi, & l’écrase par son propre poids. Le Rhinoceros est un Animal trop gros & trop vigoureux pour se laisser ainsi écraser.

De la chasse du Rhinoceros, & de la maniere de le prendre.
J’ai demandé à ceux qui montrent le Rhinoceros à Paris, comment ils avoient fait pour le prendre. Ils m’ont répondu que les Rhinoceros se tuoient quelque-fois à coups de canon; mais que la maniere la plus ordinaire de les prendre, étoit de les aller attaquer pendant les grandes chaleurs quand ils étoient couchés dans les marais; que celui qu’ils montroient avoit été pris ainsi à l’âge d’un mois comme it tettoit encore; que sa mere avoit été tuée par les Indiens à coups de fleches, & qu’une de ces fleches voit fendu une oreille à celui qu’ils montrent. Mais tous les Naturalistes conviennent qu’il n’est pas possible de tuer un tel Animal à coups de fleches, à cause de la dureté & de l’épaisseur de sa peau. La corne que ces gens montrent est celle d’un Rhinoceros mâle, & non celle d’un Rhinoceros femelle. Elle a quatorze pouces de longueur; mais en partant de la racine elle devoit avoir deux pieds qui est la plus grande longueur des cornes de Rhinoceros. Ce qu’ils ajoutent qu’on tue ces Animaux à coup de canon, se réfute de soi-même. Avant qu’on eût mené & braqué le canon, le Rhinoceros seroit bien loin, outre la dépense qu’il faudroit faire pour une telle chasse
[19]
Saint Gregoire, Saint Eustathe (a), Isidore (b), l’Abbé Rupert (c) & le Bienheureux Pierre de Damien (d) qui nous montrent par leur exemple qu’il n’est ni indécent, ni dishonnête aux Ecclésiastiques & aux Théologiens de donner quelque moment de leur loisir pour contempler dans l’étude de l’Histoire naturelle ls merveilles du Créateur, rapportent une maniere de prendre le Rhinoceros beaucoup plus curieuse & plus singuliere. Je ne citerai que les paroles de saint Gregoire, parce qu’elles renferment tout ce que disent les autres. Rhinoceros iste, dit ce grand Pape, qui etiam Monoceros in Graecis exemplaribus nominatur, tantae esse fortitudinis dicitur, ut nulla venantium fortitudine capiatur. Sed, sicut hi asserunt qui describendis naturis Animalium labortosâ investigatione sudaverunt, virgo ei puella proponitur, quae ad se venienti sinum aperit, in quo ille omni ferocitate postpositâ, caput deponit, sitque ab eis a quibus capi quaeritur, repente velut inermis (e) invenitur (f).
Isidore dit de même. (Rhinoceroti) virgo puella proponitur, quae venienti sinum aperit, in quo ille omni ferocitate depositâ, caput ponit, sicque soporatus velut inermis capitur (g).
Damir Auteur Arabe, Albert le Grand (h) & plusieurs autres Naturalistes disent la même chose. Mais les Sçavans reconnoissent tous aujourd’hui que cette maniere de prendre le Rhinoceros en lui présentant une jeune fille vierge est fabuleuse (i).
(a) In hexameron pag. 40 [Eustathe]
(b) Origin. Liv.12 c.2 [Isidore]
(c) Apud Cornel. à Lapide in num. 23. 22 [Rupert]
(d) Liv. 2 Epist. 18 [Damien]
(e) Alii Mss. Enervus
(f)Tom. 1 Edit. Bened. Pag. 1010 [Gregoire]
(g) Loco mox Laud. [Isidore]
(h) De Animal. Liv. 22. Tzizes &c [Albert le Grand]
(i) Voyez sur quoi est fondée cette Fable dans Cornelius à Lapide, in num. 23. 22.
Ce que rapportent quelques Naturalistes de la chasse du Rhinoceros & de la maniere de le prendre paroît
[20]
seul digne de créance. Ils disent que quand le Rhinoceros femelle allaite son petit dans les pâturages, les Indiens, les uns armés de piques, les autres de fusils, le vont attaquer. S’ils ont le bonheur de le tuer à coups de fusils ou autrement, ils prennent le petit qui ne peut encore courir bien vîte, ni se défendre; mais cette chasse est très-dangereuse; car quoique le Rhinoceros ne fasse naturellement aucun mal à l’homme; cependant lorsqu’il est blessé, il va quelquefois au feu, & renverse comme une puce tout ce qui se trouve devant lui, homme & cheval. (Ce sont les termes de Bontius) qui ajoute que le Rhinoceros ne va au feu que quand il a mis son petit en sûreté. Telle est la maniere de prendre les petits Rhinoceros.
A l’égard du Rhinoceros mâle, la chasse n’en est pas si dangereuse. Les Indiens construisent dans les lieux où vont les Rhinoceros forte cabane à plusieurs parties, qu’ils entourent d’arbres & de feuillages; ils mettent dans une partie de cette cabane un Rhinoceros femelle déja apprivoisé, dans le tems qu’il est en chaleur, & laissent ouverte la porte anterieure. Le Rhinoceros mâle attiré par la femelle n’est pas plutôt entré dans cette partie antérieure, que les Indiens qui s’étoient cachés ferment aussi-tôt la porte. Ensuite ils le tuent ou le prennent en vie. Telle est la seule maniere vrai-sembable de prendre le Rhinoceros qui soit parvenë à ma connoissance.

Quand on a vû des Rhinoceros en Europe.
Dion rapporte (a), qu’Auguste après avoir vaicu Cleopatre fit paroître à Rome pour la premiere fois un Rhinoceros à son Triomphe. Mais Pline (b) plus instruit de l’Histoire Romaine assure que ce fut le
(a) [Dion] Lib. 51
(b) [Pline] L. 8 c.20
[21]
grand Pompée qui donna le premier au Peiple Romain le spectacle du Rhinoceros (a). Solin confirme le récit de Pline. Avant les jeux de Pompée, dit-il, on n’avoit point encore vu de Rhinoceros aux Spectacles des Romains (b). Dans la suite on en fit paroître souvent dans le Cirque, comme le même Pline le témoigne (c). Le Peuple Romain prenoit beaucoup de plaisir à les considerer: tantôt dans le tems qu’on ne les faisoit pas combattre, spectacle innocent & plus agréable aux personnes d’un caractere doux & humain, puisqu’il le faisoit sans effusion de sang: tantôt lorsqu’ils étoient aux prises avec l’Elephant, l’Ours, le Taureau, ou les Gladiateurs. Auguste, au rapport de Suetone (d), annonçoit souvent de telles curiosités au Peuple.
(a) [Pline] L. 8 c.20
(b) Ante ludos Cn.Pompeii Romana spectacula Rhinocerotem nesciebant Solin. Polyh. C.43
(c) Rhinoceros ... saepe visus, Plin. l.7 c.20
(d) In Augusto c. 43 [Suetone]
Sous le Regne de Domitien, on en vit souvent à Rome. On les faisoit battre avec le Taureau. Martial témoin oculaire, dit qu’aucun animal ne combattoit dans l’arene avec plus de force & de férocité. Il assure que le Rhinoceros levoit un Taureau avec sa corne comme un balon à jouer (e). On voit par le même Poëte que le Rhinoceros étoit très lent à se mettre en colere,
(e) Praestitit exhibitus nuper tibi, Caesar, arena,
Quae non promisit proelia Rhinoceros
O quam terribiles exarsit pronus in iras !
Quantus erat cornu cui pila Taurus erat ?
mais que lorsqu’il étoit une fois enflâmmé, rien n’étoit plus terrible. Enfin il ajoute que le Rhinoceros enlevoit un Ours avec ses deux cornes & le jettoit en l’air avec autant de facilité qu’un taureau jetteroit un balon qu’on lui
[22]
auroit mis sur la tête (a). Les Commentateurs de Martial se sont mis l’esprit à la torture pour expliquer cet endroit, & ils ont tous voulu changer quelque chose au texte, par la raison, disent-ils, que le Rhinoceros mâle (car c’est de lui que parle le Poëte) ne peut se servir de la corne qu’il a sur le dos. Mais en considérant le Rhinoceros femelle qui est à Paris, on s’apperçoit aisément que le Rhinoceros mâle en tourant la tête vers son épaule droite peut se servir de ses deux cornes, & que c’est même dans cette situation qu’il rassemble toutes ses forces comme sur un point d’appui.
(a) Solicitant pavidi dum Rhinocerota magistri,
Saepe diu magna colligit ira ferae:
Desperabantur promissi praelia martis:
Sed tamen is rediit qui fuit ante furor.
Namque gravem gemino cornu six extulit ursum,
Jactat ut impositas Taurus in astra pilas.
On vit encore des Rhinoceros à Rome sous Antonin le Pieux (b), sous Gordien (c) & sous Eliogabele. Mais depuis la décadence de l’Empire Romain, il n’en est plus parlé, & il n’y a aucune apparence qu’il y en ait eu en Europe. Le premier dont il ait fait mention est celui qui combattit à Lisbonne, contre un Elephant en 1515. Sous le Roi Emmanuel, comme nous l’avons déja observé. Depui ce tems-là on en transporta encore quelques-uns en Portugal & en Espagne. Enfin on en fit voir un à Londres en 1684 & 1685, & un autre à ce que l’on dit il y a quelques années. Mais il ne paroît pas qu’on en ait jamais mené en Allemagne, ni en France avant celui qu’on montre actuellement à Paris, du moins l’Histoire n’en parle pas.
(b) Capitolin. (c) Idem. (d) Lampridius.
[23]
Nous ne croyons point non plus qu’on en ait jamais mené dans la Grece, car les Auteurs Grecs n’auroient pas manqué d’en parler. Au reste tous les Rhinoceros précédens étoient des Rhinoceros mâles.

Si le Rhinoceros est le même animal que la Licorne appellée par les Grecs Monoceros & par les Latins Unicornis.
Je ne connois aucun Ecrivain ancien & moderne qui ait regardé le Rhinoceros comme un animal fabuleux. Au contraire, il y en a un grand nombre qui attestent en avoir vû, tels qu’Artemidore, Martial & plusieurs autres. Il n’en est pas de même de la licorne. Les anciens Auteurs n’en parlent que par oui-dire, & tous les Sçavans reconnoissent aujourd’hui assez généralement que la licorne prise pour un Animal terrestre est un Animal fabuleux. M. Paul Sachs, sçavant Médicin, dans un Livre qu’il fit imprimer en 1676, prouve très bien que tout ce qu’on montre dans les Cabinets des Curieux pour des corns de Licornes, n’en sont point, mais des cornes d’un Poisson de Mer appellé Nerval. Un très habile Naturaliste a démontré la même chose en deux Dissertations imprimées à Copenhague en 1707 (a). De sorte que la Licorne, Animal terrestre tel qu’il est décrit par les Anciens, passe aujourd’hui parmi les habiles Naturalistes, pour un Animal absolument chimérique. C’est donc pas le même Animal que le Rhinoceros.
(a) Tycho Lassen Tychonius
Nous entendons en François par Licorne un Animal qui n’a qu’une corne. Le mot Grec Moneros & le mot Latin Unicornis signifient la même chose. Ainsi ces trois mots sont synonimes. Or comme il y a plusieurs sortes d’Animaux terrestres
[24]
dans l’Ethiopie & dans les Indes qui n’ont qu’une corne: les uns sur le nez, ls autres sur le front, & les autres sur la tête, tels que des Taureaux, des Chevreaux, des Asnes, des Dains, des Chevres, &c. De-là vient la confusion & les contrariétés qui se trouvent dans les Auteurs anciens & modernes sur le Monoceros, la Licorne, l’Unicornis & le Rhinoceros, parce que les uns attribuent à un même Animal ce qui convient à plusieurs, & à plusieurs, ce qui ne convient qu’à un seul. Tertullien, Saint Gregoire, Isidore le Vénérable Bede, & plusieurs autres confondent le Rhinoceros avec la Licorne, le Monoceros & l’Unicornis, mais en même tems ils placent la corne de ce dernier Animal au milieu du front: ce qui prouve qu’il en est distingué. Aussi Pline, Elien, & les autres Naturalistes les distinguent-ils. Il ne faut jamais disputer des mots. En général nous pouvons appeller Licorne, Monoceros & unicornis, tous les Animaux terrestres qui n’ont qu’une corne. Dalechamp dans ses notes sur Pline en a remarqué jusqu’à sept especes. Pline lui-même fait mention d’Asne, de Tauraux & d’Oryx, qui n’ont qu’une corne. Par consequent le Rhinoceros mâle ne peut être mis au nombre des Licornes, des Monoceros, ni des Unicornis. Mais le Rhinoceros femelle peut être placé dans la classe des Licornes.
Il en est de même des Animaux aquatiques. Tous ceux qui n’ont qu’une corne, peuvent être mis au rang des Licornes, des Monoceros & des Unicornis. Tel est le Nerval, appellé aussi Monoceros par les Grecs. C’est un Poisson Marin du genre des Cetacés qui a une longue corne à la mâchoire supérieure. Cette corne est tournée, canelée, terminée en pointe, & droite comme un jonc. Mais pour être exact, il faudroit ensuite specifier &
[25]
décrire exactement chaque espece des Animaux terrestres ou aquatiques qui n’ont qu’une corne, afin de ne les pas confrondre ensemble, & c’est ce qui n’a pas encore été fait jusqu’aujourd’hui avec assez d’exactitude.

Si dans l’Ecriture Sainte il est parlé du Rhinoceros.
Le mot Hebreu Réem ou Rem, est traduit dans la version Grecque & dans la Vulgate tantôt par Monoceros ou Unicornis. Cependant les Interpretes ne conviennent pas que ce mot Hebreu Réem ou Rem, signifie le Rhinoceros. Ils abandonnent sur ce point l’autorité des versions Grecques & Latines. Parce que les 70 & l’Auteur de la Vulgate ne sont point constans dans leur Traduction. En effet, puisque le mot Hebreu Réem se trouve par tout le même, pourquoi lui donner differentes significations, & le traduire tantôt par Rhinoceros & tantôt par Monoceros ou Unicornis ? Aucune necessité n’y contraint. Car il n’y a rien dans tous les textes où il se trouve qui oblige de le traduire differemment, comme il est aisé de s’en convaincre en consultant les endroits que nous indiquons (a). Il n’est donc pas certain que le Réem de la Bible soit le même Animal que le Rhinoceros. Il y a même plusieurs raisons qui portent à croire qu’il n’est jamais parlé du Rhinoceros dans le texte original de l’Ecriture.
(a) Num. xxiii. 22. Deuteron. xxxiii. 17. Job. xxxix. 10. 12. Ps. xxii. 22. xxix. 6. Ps. xxxiv. 3. Ps. xcii. 81.
1e. Le Réem devoit être très commun dans la Palestine, dans l’Idumée & dans l’Arabie, puisque l’Ecriture en parle si souvent: or il n’y a point de Rhinoceros en ces trois pais & nous avons
[26]
aucune preuve qu’il y en ait jamais eu. Le Réem n’est donc pas le Rhinoceros.
2e. Le Réem avoit deux cornes; car Moïse en parlant de Joseph, dit que sa beauté est sembable à celle du Taureau, & que sa force ressemble à celle des cornes du Réem (a). David prie aussi le Seigneur de le délivrer de la gueule du Lion & des cornes du Réem (b). Or quoique le Rhinoceros mâle ait deux cornes, cependant la femelle n’en a qu’une; on ne peut donc dire en général du Rhinoceros qu’il ait deux cornes; & par conséquent il est different du Reem.
(a) Deut. xxxiii. 17
(b) Ps. xxii. 22
3e. Le Réem dans l’Ecriture est un Animal farouche, indomptable, qui ne peut être apprivoisé. C’est ce que Dieu lui-même fait observer à Job. Le Réem, lui dit-il, voudra-t’il vous obéir & demeurer dans votre étable ? Pourrez-vous l’attacher à la charuë pour fendre les fillons ? Et voudra-t’il vous suivre pour herser vos terres ? Aurez-vous confiance en sa force & lui donnerz-vous le soin de votre labour ? Croirez-vous qu’il vous rende ce que vous aurez semé, & qu’il remplisse votre aire de Bled ? (c)
Or le Rhinoceros qu’on voit à Paris est apprivoisé, & si l’on en croit les Vyageurs, les Abyssins s’en servent pour le travail, comme ils se servent de l’Elephant. Le Rhinoceros & le Réem ne sont donc pas le même Animal.
4e. Les cornes du Réem devoient être fort grandes, selon ces paroles du Psalmiste: Vous éléverez ma corne (c’est-à-dire, ma force) comme celle du Réem (d).
(c) Job. xxxix. 10
(d) Ps. xcii. 11
C’est l’observation du sçavant Aben Efra: il paroît, dit il, par ces paroles qu’il s’agit ici d’un Animal dont la corne étoit fort longue. Or celle du
[27]
Rhinoceros n’est pas telle, puisqu’elle a au plus deux pieds de longueur, même en partant de la racine. Le Rhinoceros n’est donc point le Réem.
De plus, le Réem est un Animal dont le propre est de bondir & de sauter. C’;est ce que dit le Psalmiste: La voix du seigneur fait bondir les Montagnes du Liban & du Sarion, comme les petits du Réem (a). Or le Rhinoceros ne paroît pas un Animal propre à bondir & à sauter. Ce n’est donc pas le Réem.
Enfin les Arabes, dont la langue n’est qu’un dialecte de l’Hebreu, appellent le Rhinoceros Kerkedan (b), au lieu qu’ils donnent encoure aujourd’hui le nom de Réem à un autre Animal. Il paroît donc pas que le Rhinoceros & le Réem soit le même animal.
(a) Ps. xxix. 6
(b) D’Herbelot Bibl.Orient. Pag. 959
Aussi le docte Bochart pense que le Réem est l’Oryx, sorte de Chevre sauvage, appellée, dit-il, Reem ou Rim par les Arabes. Mais cette opinion n’est pas non plus dans difficultés; car outre qu’il est difficile d’attribuer à l’Oryx toutes les propriétés que l’Ecriture attribue au Réem, il n’est pas bien prouvé que l’Oryx tel qu’il est décrit par Aristote & dans les Naturalistes, se trouve en Palestine, en Idumée & en Arabie, & telle est la raison pour laquelle le sçavant Ludolph, qui étoit d’abord de l’opinion de Bochart dans son Histoire d’Ethiopie, chengea ensuite de sentiment ans son Commentaire.
Boot, autre sçavant Naturaliste, croit que le Réem est l’Urus, sorte de Boeuf sauvage, dont il est parlé dans César & dans les Naturalistes; mais cet Animal ayant toujours été inconnu dans la palestine & dans les Pais voisins, la même raison qui milite contre Bochart, milite encore plus contre lui.
D’autres par Réem entendent le Daim, & d’autres différens Animaux; car il y a sur ce point autant d’avis divers, qu’il y a de textes dans l’Ecriture où se trouve le mot de Réem. Cette variété de sentimens à fait revenir Ludolph & M. Scheuchzer (a) au Rhinoceros. Ces deux Sçavans pensent que tout ce qui est dit du Reem dans l’ecriture, peut très bien convenir au Rhinoceros. Ils se servent pour le prouver de la même raison que Boot employoit pour prouver que le Reem étoit l’Urus. Sçavoir, que l’Ecriture joint presque toujours le reem avec le Boeuf. Or, disent-ils, le Rhinoceros est appellé par Pausanias, Boeuf d’Ethiopie. Il peut donc se faire que par Reem, l’Ecriture entende le Rhinoceros; & quoique n’y ait point de Rhinoceros dans la Palestine, les anciens Juifs, disent-ils, peuvent en avoir entendu parler, soit dans leur séjour en Egypte & dans les Deserts d’Arabie, soit dans leurs conversations avec les Ethiopiens & les Indiens. Ce qui suffit pour qu’ils ayent pu emprunter de ces Animaux étrangers, des proverbes & d’autres façons de parler, comme nous en empruntons nous-mêmes des Lions, des Elephans & des autres Animaux des indes & d’Afrique. Mais il m’a paru qu’ils ne satisfaisoient pas entierement à toutes les raisons qui sont déduites ci-dessus, & je suis persuadé qu’on ne connoîtra jamais bien le Reem, que l’on n’ait une Histoire Naturelle exacte des Animaux de la palestine, de la Syrie, de l’Idumée & de l’Arabie, laquelle nous manque jusqu’aujourd’hui.
(a) [Scheuchzer] Dans la Physique Sacrée, tom.4, pag. 25.
(b) [Schultens] Comment. In Job. xxxix.10, tom.2, pag. 1112 & seq.
En attendant, il suffira d’observer avec M. Schultens (a [=b]) qu’il y a dans les Deserts de Syrie & d’Arabie un grand nombre de Boeufs sauvages. Ce qui se prouve par les Poetes & par les autres Ecrivains
[29]
Arabes, qui en parlent sans cesse, & qui les appellent Reem. Il paroît constant que ce sont ces mêmes Animaux dont parle l’ecriture sous le nom de Réem. C’est pourquoi elle les met dans la classe des Boeufs, en faisant remarquer néanmois que ce sont des Boeufs indomptables, qui ne peuvent être attachés à la charuë, comme les Boeufs domestiques, & c’est ce que Dieu dit à Job. En prenant aisni le Reem pour un Boeuf sauvage de Syrie, de Palestine, d’Idumée & d’Arabie où il s’en trouve un grand nombre, il est aisé d’expliquer tous les Textes de l’ecriture dans lesquels il est parlé du Réem, au lieu qu’il ne paroît pas possible de les expliquer d’une maniere satisfaisante, en les entendant du Rhinoceros ou des autres Animaux.

Auteurs Anciens qui parlent du Rhinoceros; Ecrivains Modernes qui en ont le mieux traité. Comparaisons faites à l’occasion de cet Animal.

Agatharchides de Cnide est le premier qui a donné la description du Rhinoceros. Il vivoit sous Ptolemée Philometor, environ 180 ans avant Jesus-Christ. Ensuite Diodore de Sicile, Pline, Artemidore, Strabon, Elien, Pausanias, Oppien, Martial, Philé, Solin, le Moine Cosme Egyptien, & un granbd nombre d’autres en ont parlé. Artemidore assure en avoir vu (a). Aussi sa description est-elle plus exacte que les autres. A l’égard d’Aristote, il est constant qu’il n’a point connu le Rhinoceros, autrement il n’auroit pas manqué d’en parler dans son Histoire des Animaux, où il n’en dit rien.
(a) [Artemidore] Dans Strabon. Liv. 16.
Les Modernes qui ont le mieux traité du Rhinoceros, sont Bochart, Gretser [sic], Bontius, le Continuateur d’Aldrovandus, Chardin & ruysch. Mais
[30]
tous ces Auteurs Anciens & Modernes ont fait un grand nombre de fautes dans la description de cet Animal. Ce qui vient de ce que la plupart ne l’avoient pas vu, & que ceux qui l’avoient vu, n’y ont point apporté assez d’exactitude. De-là sont nées ces fables qu’on lit dans leurs Ecrits. De ce nombre est celle que débitent encore ceux qui montrent le Rhinoceros qui est à Paris. Quand le Rhinoceros, disent-ils, boit dans une Riviere ou dans une Fontaine, les autres Animaux d’alentour n’osent en approcher par respect, jusqu’à ce qu’il ait bu. Ce conte est pris d’Alkazuin, Auteur Arabe, qui ajoute, que quand le Rhinoceros s’est emparé d’un endroit, les autres Animaux par la crainte qu’ils en ont, n’osent approcher de cent parasanges à la ronde, c’est-à-dire, que le Rhinoceros, selon cette fable, occupe lui seul des Provinces entieres.
Je finis par les comparaisons ausquelles le Rhinoceros a donné occasion. Les latins disoient d’un homme fin & rusé, qui entendoit la raillerie: qu’il avoit un nez de Rhinoceros (a). Ils donnoient aussi quelquefois le nom de Rhinoceros à celui qui avoit une dent plus longue que les autres. On appelle proverbialement un nez de Rhinoceros un homme qui a un nez gros & éminent. Telles sont les façons de parler & les comparaisons les plus communes tirées du Rhinoceros. On en trouvera beaucoup d’autres dans le Continuateur d’Aldrovandus (b), & dans les anciens Prédicateurs.
(a) Majores nunquam Ronchi, Juvenesque Senesque
Et pueri nasum Rhinocerotis habent. Martial. L.I, v.4
(b) De quadruped. Besul.

FIN

[31]
ADDITIONS.
Des Rhinoceros d’Afrique, & de la maniere de les prendre.
Après avoir achevé cette petite Histoire, je me suis souvenu qu’il étoit beaucoup parlé du Rhinoceros dans l’excellente Description du Cap de Bonne-Esperance, par Kolben, & dans la Relation de l’Ambassade des Hollandois à la Chine. J’ai consulté ces deux Ouvrages, & en les comparant je me suis apperçû que le Rhinoceros d’Afrique n’est pas tout-à-fait sembable à celui des Indes Orientales (a). Celui d’Afrique a les oreilles plus petites, & la corne ordinairement moins longue. Cette corne lui sert dans sa colere à déchirer la terre, & quelquefois à soulever de grosses pierres qu’il jette en arriere par dessus sa tête, avec beaucoup de force. La femelle en Afrique comme en Asie a seulement une corne sur le nez. Le Rhinoceros mâle d’Afrique n’a point de corne sur le dos, mais outre celle qu’il a sur le nez, son front, selon Kolben, est armé d’une autre corne qui n’a jamais plus de six pouces de hauteur. Elle a la forme d’une moitié de jatte renversée. Elle est creuse & présente sur la tête une espece de dôme. Peut-être que martial parle de ce Rhinoceros d’Afrique, auquel il donne deux cornes.
(a) Voyes l’Histoire Générale des Voyages, tom. 5, pag. 81. & 190. Pigafetta, pag. 63. Merolle, pag. 606. & l’Ambassade des Hollandois, part 2, pag. 93.
Le Rhinoceros a l’odorat extrêmement subtil. Avec le vent il sent de fort loin toutes sortes d’animaux, & marche vers eux en ligne droite, renversant tout ce qui se trouve sur son passage. Si Malheureusement il rencontre un homme en habit rouge, il s’élance
[32]
sur lui & le jette par-dessus sa tête avec tant de violence que la chute seule en est mortelle. Ensuite il le léche & le dépouille jusqu’aux os. Car sa langue n’est point douce & unie comme celle du Rhinoceros d’Asie, mais rude & épineuse comme une lime (a). Les yeux ne lui servent à voir que devant lui, c’est pourquoi le moyen le plus sûr de l’éviter, c’est de sauter un peu à côté, lorsqu’on en est à neuf ou dix pas.
(a) Voyez les Transactions Philosophiques, no. 470, pag. 540 & 531.
Kolben assure que pendant son séjour au Cap, il mangea souvent avec plaisir de la chair du Rhinoceros, & que quantité d’Habitans du Cap se font des tasses de sa corne, & les embelissent d’or & d’argent. Le vin s’y éleve & bouillonne comme s’il étoit échauffé par le feu. Si la liqueur est empoisonnée, le vase se fend aussi-tôt, ou si l’on y met du poison séparé, il tombe en piéces sur le champ. Le même Kolben atteste qu’il fut souvent témoin de ces merveilleux effets (b). Les morceaux & les raclures qui restent après le travail de l’Ouvrier sont rendus soigneusement au Maître de la tasse, parce qu’on leur attribue des vertus extraordinaires pour les convulsions, les défaillances & autres infirmités, comme à la peau & au sang pour les obstructions & pour les blessures intérieures. Un Allemand pretendoit faire de grandes cures avec le sel extrait de la peau.
Les Peuples de Bamba entendent fort bien la maniere de prendre le Rhinoceros. Leur méthode est d’ouvrir dans les lieux que ces Animaux fréquentent, de larges fossés qui vont en rétrécissant vers le fond. Ils les couvrent de branches d’arbres & de gazon qui cachent le piége. Les Rhinoceros y tombent & ne peuvent s’en retirer (c).
(b) Kolben, v.1, p. 100 & suiv.
(c) Histoire Gen. Des Voyages, tom.5, pag. 80.
[33]
Les Hottentots sont à peu près de même. Comme les Rhinoceros suivent presque toujours la même route pour aller aux rivieres. La trace de leurs pas est toujours facile à reconnoître à cause de la pesanteur de leurs corps. Les Hottentots ouvrent dans cette route une fosse de sept à huit pieds de profondeur, & d’environ quatre pieds de diametre, au milieu de laquelle ils enfoncent une pieu pointu. Ils la couvrent ensuite avec tant d’art, que les yeux mêmes d’un homme y seroient trompés. Le Rhinoceros en tombant dans cette fosse ne manque pas de rencontrer le pieu qui lui perce la poitrine ou le col, & qui l’arrête assez pour donner le tems aux Chasseurs de l’achever à coups de zagaies (a). Cette différence des Rhinoceros d’Afrique & d’Asie peut servir à concilier les Relations des Voyageurs & des Historiens.
(a) Kolben, tom. 1, pag. 242, & suiv.
[34]
Approbation.
J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier un Manuscrit intitulé Lettre contenant la description & l’Histoire naturelle du Rhinoceros, à M. ***, Membre de la Societe Royale de Londres, je n’y ai rien trouvé qui doive en empêcher l’impression. A Paris ce 13 Février 1749.
Signé, Vatry


[ Home ][ Literature ][ Rhino Images ][ Rhino Forums ][ Rhino Species ][ Links ][ About V2.0]